Réflexion sur la « bonne foi stratégique » dans l’exécution du Bail commercial

« N’y a-t-il pas plus solidarisé que le droit des baux commerciaux ? » (1)

L’obligation de bonne foi est la représentation même de la différence entre « équilibre par le contrat » et « équilibre économique ».

Avec la loi Pinel qui a réformé le droit des baux commerciaux en 2014, le législateur cherchait surtout à protéger l’équilibre par le contrat.

Mais dans la dernière réforme du droit des obligations (2016-2018), avec la mise en avant de la notion de bonne foi, c’est purement l’équilibre économique que l’on cherchait à maintenir.

Cette notion de « bonne foi » que Monsieur Mestre, la constatant « toujours plus intense et gagnant à présent le terrain de l’adaptation du contrat », considérait comme potentiellement fondement juridique « d’une obligation de négocier la révision du contrat en cas d’imprévision » (2), est à la fois source de sécurité juridique (3), et manifestation du besoin de collaboration des parties (4).

Elle permet de ne pas se référer uniquement aux critères stricts et légaux, en permettant l’analyse des comportements des parties et des éléments factuels « au cas par cas ».

En application de l’ancien article 1134 du code civil, selon lequel « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites (et) doivent être exécutées de bonne foi », les juges lui ont donné de plus en plus d’importance, en jurisprudence, au fil des années.

Le phénomène semble amener à se prolonger, s’agissant particulièrement des baux commerciaux, au vu des dernières réformes, certes, mais également des dernières décisions judiciaires.

Les arrêts rendus par la Cour de cassation les 30 juin et 23 novembre 2022 sont très intéressants à cet égard.

S’il fut une époque où limiter la liberté contractuelle était une façon de contrer la mauvaise foi du bailleur (5), il semble que, désormais, ce soit la bonne foi qui doive être utilisée pour contrer ce type de pratiques abusives.

Dans le droit des baux commerciaux, on considère la notion de bonne foi comme cousine de celle d’équité et elle y a toujours été appliquée, comme par exemple en matière de cession de bail commercial, de sous-location, de travaux, ou pour l’application de la clause résolutoire et du droit de résiliation triennale.
En effet, elle est, d’une part, un principe de droit positif qui n’est pas évincé par le droit spécial.

D‘autre part, elle est également un principe qui trouve quelques similitudes avec la notion d’équité.

Si la bonne foi est à trouver précisément dans le comportement des cocontractants, et que l’équité semblait principalement à rechercher dans le contenu même du contrat de bail, elles ont, toutes les deux, vocation à encadrer les relations contractuelles en complétant les lacunes écrites et, en rappelant les parties à leurs devoirs respectifs.

Les parties ont conclu un contrat, se sont mises d’accord sur ses dispositions fondamentales, mais ne peuvent pas tout envisager au moment de conclure le contrat. Celles-ci devront, pour maintenir l’équilibre du contrat, intervenir pour « résoudre de façon souple les difficultés éventuelles, par la renégociation ou par l’intervention d’un tiers, en tenant compte de leurs comportements respectifs » (6) : cela nécessite des « leviers conventionnels » pour mettre en œuvre cet équilibre. C’est d’ailleurs ce que semblait vouloir encourager la réforme du droit des obligations de 2016 en cherchant « l’équilibre contractuel » par « l’équilibre économique » (7).

Demogue, en son temps, partageait déjà cette vision relationnelle du contrat, mettant en lumière
la nécessité de contrôler l’évolution du contrat par la solidarité (8). Dans son traité des obligations, il insiste sur le rôle fonctionnel d’ « organisateur » de « l’interdépendance et de la coopération des parties » dans le contrat (9).

Cette forme de solidarisme est alors fondée en grande partie sur la notion de bonne foi présente
dans l’ancien article 1134 du code civil.

Le juge aménage les clauses du contrat, sans désormais faire référence à l’équité, certes, mais
en le faisant exactement de la même manière grâce à la bonne foi.

La bonne foi permet la recherche de l’équilibre subjectif du contrat et, comme l’explique Monsieur Malfossis, « tout l’art de l’équité est de n’apparaître toujours que sous les habits d’une autre qu’elle (loi, coutume, principes généraux du droit) ou bien encore de se glisser dans les méthodes et raisonnements qui permettent de ne pas la nommer. Eminence grise du droit, elle est soumise à un principe de discrétion qui lui impose, pour jouer son rôle, de ne jamais prétendre à l’avant-scène » (10).

Dans la période « post-crise sanitaire » liée au Covid, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a rendu les 30 juin 2022 et 23 novembre 2022, un certain nombre d’arrêts qui ont déjà été très commentés.

Durant de nombreux mois, bon nombre de locataires commerciaux dans la difficulté fermaient boutique et, au vu de leur impossibilité d’exploiter leur commerce (et donc leur local commercial), cessaient de payer leur loyer.

De nombreux contentieux ont été formés ces dernières années. Les décisions qui en découlèrent, tant au référé qu’au fond, furent tant disparates qu’il était devenu pour la Cour de cassation, à l’été 2022, indispensable de se positionner.

Elle le fit, non sans susciter quelques critiques, mais eut le mérite de clarifier les choses : la fermeture des locaux ne constitue pas un manquement du bailleur, pas plus une perte de la chose louée, encore moins un cas de force majeure (11).

Toutes ces notions furent écartées.

Si bien qu’en définitive, les locataires durent se faire une raison : les loyers impayés (dont l’exigibilité pouvaient parfois être repoussée à la faveur de quelques dispositifs d’aides gouvernementaux) étaient bien dus et leurs bailleurs étaient en droit de les réclamer.

Position radicale qui fut à nouveau confirmée par de nouveaux arrêts rendus le 23 novembre 2022 (12).

Oui mais …

Une autre notion, bien moins commentée, remontrait le bout de son nez au sein du dispositif de la Cour de cassation :

« Ayant constaté que la bailleresse avait vainement proposé de différer le règlement du loyer d’avril 2020, la cour d’appel, qui n’était pas tenue de suivre la locataire dans le détail de son argumentation, en a souverainement déduit que la bailleresse avait tenu compte des circonstances exceptionnelles et ainsi manifesté sa bonne foi ».

Outre l’impossibilité de faire application des notions citées précédemment, quel autre fondement était ainsi mis en avant par la Cour de cassation ?

Bien entendu, il s’agit de la bonne foi.

En vérité, celle-ci avait déjà imprégné quelques décisions notables au fond et avaient permis, au juge, tantôt de rejeter la demande de paiement du bailleur lorsque le locataire justifiait par des échanges de courriers s’être rapproché de son bailleur pour essayer de trouver une solution amiable (13), tantôt d’y faire droit lorsque le bailleur avait fait des propositions d’aménagement du paiement des loyers alors que le locataire n’avait fait aucune démarche en retour (14).

Si le bailleur, encore, établissait avoir fait des propositions d’échelonnement ou de report du loyer, tandis que le locataire, restaurateur, ne justifiait pas avoir mis en œuvre des activités de livraison ou de retrait de commande pendant la période litigieuse, alors le tribunal pouvait également lui donner raison (15).

Si le preneur ne rapportait pas la preuve d’une exécution contractuelle de mauvaise foi du bailleur, ce dernier ayant été force de proposition pour adapter temporairement les modalités d’application du bail commercial (16), alors le tribunal ne faisait pas plus d’exception.

De là à penser primordial, pour l’avenir, d’être toujours capable de démontrer sa bonne foi, tout au long de l’exécution du bail, il n’y a qu’un pas.

Cette bonne foi s’avère alors très stratégique, non seulement eu égard au paiement des loyers, mais aussi pour toutes les contestations relatives à l’exécution et à l’équilibre du bail commercial de manière générale.

A tous les lecteurs de bonne foi …

(1) Auque F., « Décret de 1953 : Une réforme est-elle souhaitable ?», RLDA n°66, 2003

(2) Mestre J., « Une bonne foi décidément très exigeante », RTD civ. 1992, 760

(3) Mazeaud D., « Le contrat, liberté contractuelle et sécurité juridique », Defrénois 1998, p. 1137

(4) Mestre J., « D’une exigence de bonne foi à un esprit de collaboration », RTD civ. 1986, p. 100

(5) Lardeux G., « Les limites de la liberté contractuelle comme rempart à la mauvaise foi des bailleurs», RDC n°1, 2009, p.156

(6) Gatti L. « La contractualisation, mode nouveau de protection de la personne », Thèse pour le doctorat en droit, Université de Poitiers, Collection de la faculté de droit et des sciences sociales, LGDJ, p. 220

(7) Chaoui H. « La négociation et la conclusion du bail commercial : incidence de la réforme du droit des contrats», Loyers et Copr. n° 10, Octobre 2016, dossier 10

(8) Demogue R., Traité des obligations en général, Tome 1

(9) Gatti L., ibidem

(10) Molfessis N., « L’équité n’est pas une source du droit », RTD civ. 1998, p. 221

(11) Cass, 3e civ. 30 juin 2022 Pourvois n° 21-19.889 – n° 21-20.127 – n° 21-20.190

(12) CASS. 3E CIV., 23 novembre 2022 n° 21-21.867 ET n° 22-12.753

(13) TJ Paris réf. 26-10-2020 n° 20/53713   TJ Paris réf. 26-10-2020 n° 22/55901

(14) TJ Paris, 18e ch., 10 juill. 2020, n° 20/04516

(15) CA Paris, pôle 1 chambre 10, du 3 juin 2021 n° 21/01679

(16) Par la mensualisation des échéances et la renonciation à la perception d’un mois de loyer -TJ de Paris, 22 juin 2022, n° 20/08161

Brève d’actualité : Bail commercial et « Loyers Covid », Position radicale de la Cour de cassation !

Cour de cassation Troisième chambre civile 30-06-2022 – Pourvois n° 21-19.889 – n°21-20.127 – n°21-20.190
Lors de son audience des 14 et 15 juin 2022, la troisième chambre civile de la Cour de cassation avait examiné trois pourvois portant sur la suspension du paiement de leur loyer par des commerçants, pendant l’état d’urgence sanitaire.
Comme cela a largement été annoncé, la Cour vient de rendre ses décisions ce 30 juin 2022.
Celles-ci semblent, à première lecture, assez radicales : pour la Cour, l’interdiction de recevoir du public n’affecterait que l’activité et non pas le local mis en location par le Bailleur.

Par application de l’article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, l’état d’urgence sanitaire a été déclaré sur l’ensemble du territoire national.

En application de l’article 3, I, 2°, du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 et du décret n° 2020-423 du 14 avril 2020 le complétant, jusqu’au 11 mai 2020, tout déplacement de personne hors de son domicile a été interdit à l’exception des déplacements pour effectuer des achats de fournitures nécessaires à l’activité professionnelle et des achats de première nécessité.

Edictée pour limiter la propagation du virus par une restriction des rapports interpersonnels, l’interdiction de recevoir du public, sur la période du 17 mars au 10 mai 2020, prévue par les arrêtés des 14 et 16 mars 2020 du ministre des solidarités et de la santé, ainsi que par les décrets précités, résulte du caractère non indispensable à la vie de la Nation et à l’absence de première nécessité des biens ou des services fournis. Par suite, cette interdiction a été décidée, selon les catégories d’établissement recevant du public, aux seules fins de garantir la santé publique.

Sur l’obligation de délivrance et la perte de la chose louée : L’effet de cette mesure générale et temporaire, sans lien direct avec la destination contractuelle du local loué,ne peut être, d’une part, imputable aux bailleurs, de sorte qu’il ne peut leur être reproché un manquement à leur obligation de délivrance, d’autre part, assimilé à la perte de la chose, au sens de l’article 1722 du code civil.

Sur l’exception d’inexécution : Ayant relevé que les locaux loués avaient été mis à disposition de la locataire, qui admettait que l’impossibilité d’exploiter, qu’elle alléguait, était le seul fait du législateur, la cour d’appel en a exactement déduit que la mesure générale de police administrative portant interdiction de recevoir du public n’était pas constitutive d’une inexécution de l’obligation de délivrance.

Sur la Force majeure : Il résulte de l’article 1218 du code civil que le créancier qui n’a pu profiter de la contrepartie à laquelle il avait droit ne peut obtenir la résolution du contrat ou la suspension de son obligation en invoquant la force majeure. Dès lors, la cour d’appel a exactement retenu que la locataire, débitrice des loyers, n’était pas fondée à invoquer à son profit la force majeure.

Sur la bonne foi du Bailleur : Ayant constaté que la bailleresse avait vainement proposé de différer le règlement du loyer d’avril 2020, la cour d’appel, qui n’était pas tenue de suivre la locataire dans le détail de son argumentation, en a souverainement déduit que la bailleresse avait tenu compte des circonstances exceptionnelles et ainsi manifesté sa bonne foi !

La publication de ces arrêts de rejet tant au Bulletin, qu’au Rapport et aux Lettres de chambre illustre l’importance de ces décisions en matière de Baux commerciaux.

Clause de résiliation de plein droit dépourvue de réciprocité et article 1171 du code civil : un arrêt important de la Cour de cassation en date du 26 janvier 2022 vient d’être publié au bulletin.

La chambre commerciale, financière et économique de la Cour de Cassation publie au Bulletin ainsi qu’aux lettres de chambre un arrêt (de cassation partielle), innovant nous semble-t-il, qui a le mérite de replacer la confrontation/répartition des sources de sanction au cœur du débat en matière d’équilibre du contrat. Livre IV du code de commerce VS Droit commun des contrats et son récent article 1171 notamment.

Ce dernier trouve donc, sans guère surprise, à s’appliquer en présence d’une location financière (de matériel informatique en l’espèce) échappant selon la Cour aux textes du code de commerce relatifs aux pratiques restrictives de concurrence :

L’article 1171 du code civil, interprété à la lumière de ces travaux, s’applique donc aux contrats, même conclus entre producteurs, commerçants, industriels ou personnes immatriculées au répertoire des métiers, lorsqu’ils ne relèvent pas de l’article L. 442-6, I, 2° du code de commerce“.

La frontière entre régime de droit commun et régimes spéciaux est-elle si étanche ?

Qu’en serait-il en présence d’autres contrats d’adhésion (“hybrides”) pour lesquels le livre IV du code de commerce semble encore aujourd’hui fermé ? On pense par exemple aux baux commerciaux. La même stricte répartition aurait-elle été (ré)affirmée aussi fermement ?

2022 et toujours plus que jamais : l’équilibre du contrat …

26 janvier 2022 – Cour de cassation -Pourvoi n° 20-16.782

Bail commercial : la création d’une station de métro, dans le quartier où se situent les locaux loués, peut donner lieu à déplafonnement du loyer !

C’est ce qu’a décidé la cour d’appel de PARIS très récemment (CA Paris, pôle 5 – ch. 3, 8 sept. 2021, n° 19/21095), “à supposer que la création et la fréquentation de la station de métro puissent avoir un impact sur les commerces” voisins.

Pour rappel, en cas d’une modification matérielle des facteurs ayant entraîné par elle-même une variation de plus de 10 % de la valeur locative, le montant du loyer révisé (révision triennale) peut être déplafonné pour correspondre à la valeur locative.

La cour se contente d’énoncer tout d’abord qu’aux termes de l’article R. 145-6 du code de commerce, “les facteurs locaux de commercialité dépendent principalement de l’intérêt que présente, pour le commerce considéré, l’importance de la ville, du quartier ou de la rue où il est situé, du lieu de son implantation, de la répartition des diverses activités dans le voisinage, des moyens de transport, de l’attrait particulier ou des sujétions que peut présenter l’emplacement pour l’activité considérée et des modifications que ces éléments subissent d’une manière durable ou provisoire“.

Or, en l’espèce, la création de cette station de métro est venue désenclaver le quartier qui est à forte densité de population.

Non seulement cette station a été créée et ouverte pendant la durée du bail expiré mais la progression de sa fréquentation entre 2008 et 2016, de + 16,36%, soit un différentiel de 1.000.496 voyageurs, est largement supérieure à la fréquentation de l’ensemble du réseau métropolitain sur cette période (+ 5,82%).

Dès lors, “au regard de ces éléments, la création d’une station de métro dans un quartier à forte densité de population, venant le désenclaver, à 220 m des locaux expertisés ainsi que l’augmentation importante de la fréquentation de ladite station pendant la durée du bail expiré constituent une modification notable des facteurs locaux de commercialité“.

En conséquence, la cour considère qu’il y a bien lieu à déplafonnement du loyer.

Nous rappelons enfin que d’autres cour d’appel ont, par le passé, pu être légèrement plus nuancées s’agissant précisément de l’ajout d’un arrêt de métro, en considérant notamment que :

  • Le caractère favorable de cette création devait être apprécié au regard de la spécificité de l’activité exercée dans les locaux (CA Versailles 15-1-2019 no 18/00595 ) ;
  • Que l’augmentation de la population de cadres spécifiquement en découlant, et la création de plusieurs dizaines de logements neufs en parallèle, n’ont pas forcément d’incidence positive sur une activité (en l’occurrence de pressing/laverie : CA Versailles 27-2-2020 no 18/08534).

Un arrêt qui intéressera probablement quelques propriétaires toulousains dans les années à venir …

Loyers impayés, COVID : La Cour de cassation ne se prononcera finalement pas !

Comme nous vous l’indiquions dans une publication antérieure, la Cour de cassation avait été saisie pour avis d’une question par le Tribunal judiciaire de Chartres, sur la pertinence de plusieurs moyens invoqués récemment dans bon nombre de litiges “post-covid” et relatifs au non-paiement de loyers de baux commerciaux.

Pour rappel des trois questions posées à la Cour : ici

La Cour était appelée, en conséquence, à rendre son avis le 5 octobre prochain, jour qui aurait pu faire date compte tenu de l’abondant contentieux en la matière, et de l’absence pour le moment de toute constance jurisprudentielle.

Mais .. suite au désistement de l’une des parties au litige porté devant le Tribunal judiciaire de Chartres, cet avis (tant attendu par les bailleurs et les locataires, et les praticiens …) ne sera pas encore rendu, les parties ayant filialement décidé de transiger à l’amiable.

Triste pour la jurisprudence, mais heureux pour les deux parties. Il est plus que jamais le moment de promouvoir les modes alternatifs de règlement des litiges en matière de baux commerciaux car, de manière plus générale, il s’agit de reconnaitre que le bail commercial est un contrat qui se conjugue toujours très mal avec la voie conflictuelle.

Dans tous les cas, liés par un contrat à très longue durée, par définition amené à se renouveler, pour le bailleur et le preneur opter pour une voie extra-judiciaire c’est comprendre qu’il est avant tout vital de penser au temps, et aux frais, que représentent les recours systématiques au juge.

En ce sens :

« Le monde des affaires dans lequel s’inscrivent les baux commerciaux, a besoin de sécurité mais aussi, aujourd’hui plus que jamais, de rapidité» (…) « en matière de bail commercial (…) la résolution rapide du litige est une nécessité absolue ». (Jacquin A. « Pourquoi pas l’arbitrage comme solution aux litiges en matière de bail commercial ? », GP n° 40, 2017, p. 5).

Loyers impayés, COVID : La Cour de cassation va devoir se prononcer !

Suite à l’article 8 du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020, modifié par le décret n° 2020-423 du 14 avril 2020, les établissements relevant de certaines catégories n’ont plus pu accueillir du public jusqu’au 11 mai 2020.

La Cour de cassation a été saisie pour avis d’une question, ou plutôt d’une triple question, par le Tribunal judiciaire de Chartres :


1) Dans le cas d’un bail commercial conclu au profit d’un preneur touché par la fermeture administrative ordonnée en vertu des décrets pris pour lutter contre la propagation de l’épidémie de COVID 19, le preneur peut-il opposer l’exception d’inexécution et refuser le paiement des loyers en faisant valoir que le bailleur a manqué à son obligation de délivrance d’une chose apte à l’usage convenu, quand bien même ce manquement ne serait pas de son fait mais dû à un cas de forme majeure ?


2) La fermeture administrative ordonnée en vertu des décrets pris pour lutter contre la propagation de l’épidémie de COVID 19 constitue-t-elle un cas de force majeure qui frappe la substance même du contrat de bail, de sorte que celui-ci serait alors suspendu (le bailleur serait dispensé de son obligation de délivrance pendant la durée des mesures réglementaires et le preneur serait dispensé du paiement du loyer et des charges) ?


3) L’interdiction temporaire d’exploiter les locaux commerciaux décidée par les pouvoirs publics pour lutter contre la pandémie équivaut-elle à une perte partielle de la chose louée au sens de l’article 1722 du code civil, justifiant une dispense de paiement des loyers pour la période considérée ?

La réponse est attendue le 5 octobre 2021 ! Celle-ci, compte tenu de l’abondant contentieux en matière d’impayés de loyers nés en période de Covid, pourrait bien faire date.

Bail commercial, COVID, loyers et perte du local loué : le premier arrêt d’importance est venu de La Rochelle !

Un arrêt rendu par le Tribunal judiciaire de La Rochelle a récemment donné raison au locataire d’un bail commercial en situation de loyers impayés, en raison de la « perte du local loué » suite à la fermeture administrative des commerces au cours du premier confinement.

C’est la première fois, semble-t-il, qu’un juge du fond adopte cette solution qui est fondée sur l’article (napoléonien) 1722 du code civil dont j’avais eu l’occasion de vous parler, il y a quelques mois à peine, sur ce site.

Précisons, cependant, qu’une telle solution était jusqu’à présent très contestée en Doctrine. Il est vrai que le texte, à l’origine, nous paraissait plutôt viser des situations telles que l’incendie ou la destruction (totale ou partielle) du local commercial loué.

Le début d’une nouvelle jurisprudence ? Affaire à suivre (de très près) …

TJ La Rochelle 23-3-2021 n° 20/02428

Inclusion naturelle de la livraison et de la vente à emporter dans l’activité de restauration prévue par la clause de destination du bail commercial ?

Un arrêt intéressant a récemment été rendu par la cour d’appel de Paris (CA Paris, pôle 5 – ch. 3, 17 févr. 2021, n° 18/07905).

Inédit de par la solution rendue, il n’en demeure pas moins qu’il faudra encore attendre d’autres décisions de ce type, et surtout des décisions de dernier ressort, pour que l’on puisse être en mesure de parler d’une “nouvelle jurisprudence”.

Jusqu’à présent, le restaurateur envisageant de pratiquer la “vente à emporter” devait s’assurer ou faire en sorte que son bail commercial comporte expressément cette faculté. A défaut, l’activité de restauration n’incluant par principe pas la vente à emporter, il se rendait coupable d’une despécialisation partielle opérée sans l’autorisation du propriétaire des locaux ce qui justifiait potentiellement deux choses : 1/ Le paiement d’une indemnité de despécialisation au profit du bailleur ; 2/ Le déplafonnement du loyer si les critères légaux s’en trouvaient réunis.

La Jurisprudence confirmait jusqu’à présent cette solution et les praticiens s’y conformaient.

La décision rendue le 17 février 2021, mettant en jeu pour l’anecdote un restaurant dont la spécialité était la confection de Sushis, infirmait un jugement rendu le 6 octobre 2017 par le juge des loyers commerciaux près le tribunal de grande instance de Paris.

Ce dernier avait considéré que l’adjonction d’activité non incluse au bail, ni connexe ni complémentaire, était une modification notable de la destination contractuelle justifiant purement et simplement le déplafonnement du loyer.

En effet, le bail commercial du restaurateur indiquait les activités suivantes : ‘Alimentation générale et restaurant, typiquement exotique, c’est-à-dire typiquement asiatique.’

Et, sans s’attarder sur la rédaction “a-typique” de la clause, le restaurant avait cependant mis en place un service de livraison et de vente à emporter (ce qui demeure, admettons-le, des plus classiques pour un restaurant japonais).

Cela constituait, selon lui, une simple modalité particulière de l’exploitation prévue au bail .

La cour d’appel lui donne raison et infirme le jugement rendu par le juge des loyers : l’adjonction d’une activité ne peut donner lieu à déplafonnement du loyer s’il s’agit d’une activité dite incluse, c’est-à-dire se rattachant naturellement à la destination contractuelle initiale et à son évolution en fonction des usages ou pratiques commerciales.

La phrase suivante figurant au sein de la décision est particulièrement intéressante :

il convient de tenir compte de l’évolution des usages en matière de restauration traditionnelle. Si les plats confectionnés sont essentiellement destinés à être consommés sur place, la tendance croissante est de permettre à la clientèle, particulièrement en milieu urbain, comme en l’espèce, de pouvoir emporter les plats cuisinés par les restaurants ou se les faire livrer à domicile, notamment par l’intermédiaire de plate-formes.”

Il n’y avait dès lors, et selon la cour, pas lieu d’accueillir la demande de déplafonnement des bailleurs du fait des activités de vente à emporter et de vente par internet avec livraison.

La société et le monde évoluent continuellement : le droit doit pouvoir s’adapter, au fil du temps, pour répondre à cette évolution. C’est ce que l’on apprend aux étudiants en droit en première année de Licence. Le “click and collect” n’y fait visiblement pas exception …

Pour l’acceptation du co-contractant de bail commercial comme « partenaire commercial ».

J’ai publié, ce lundi 1er mars 2021, un article sur Village-Justice que vous pouvez retrouver ici.

Le temps de la crise, celui de la fermeture administrative de nombreux locaux, de la chute des chiffres d’affaires et des impayés de loyers, doit à mon sens inviter à repenser le droit des baux commerciaux. Il se murmure d’ailleurs dans les couloirs de la chancellerie, que le bail commercial (son statut du moins) aurait trouvé ses limites.

Plus que jamais, bailleur et preneur doivent pouvoir repenser leur relation particulière, et voir leur contrat comme un partenariat réel dans lequel les intérêts de l’un peuvent également servir et soutenir les intérêts de l’autre.

Soutenir qu’une mise en demeure de payer, expédiée par LRAR, est invalide pour cause de non réception effective du courrier est voué à l’échec !

C’est ce que la Cour de cassation a jugé de manière inédite.

(Cass. 1e civ. 20-1-2021 n° 19-20.680 F-P, D.)

Une banque avait en effet mis en demeure ses emprunteurs de lui rembourser la somme restant due (assortie d’intérêts).

Les assurés (on le devine) font en sorte de ne pas réceptionner le recommandé. Celui-ci revient à l’expéditeur avec la mention « non réclamé ».

La Banque initie et mène la procédure jusqu’à son terme. Après jugement au fond et appel, ils sont finalement condamnés à payer par la Cour de cassation. Le défaut de réception n’a pas privé la mise en demeure de sa pleine validité !